07 October 2022

LES PERFORMANCES EN CALCUL HIER, AUJOURD’HUI ET DEMAIN

« L’enseignement renforcé du comptage-numérotage, alors que Jean-Michel Blanquer est aujourd’hui ministre, aura vraisemblablement le même effet que le basculement de 1986 et ses prescriptions de la période 2009-2012 : une future baisse importante des performances en calcul ».

Rémi Brissiaud revient sur l’étude de la Depp sur les 30 années d’évolution du niveau en maths des élèves de CM2. Il pointe les effets négatifs de l’enseignement du comptage – numérotage, décidé en 1986 puis des conceptions  de S Dehaene et de JM Blanquer pour la période 2007-2017. Il explique ces évolutions dans cet article particulièrement documenté. Depuis 1987 et à intervalles réguliers (tous les 10 ans environ), la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) se livre à une évaluation des performances en calcul des écoliers de fin CM2. Les résultats de la dernière étude, 2017, viennent d’être publiés (1) : après un effondrement initial des performances (1987-1999), puis leur stabilisation (1999-2007), elles sont fortement reparties à la baisse (2007-2017). Nous allons voir qu’il fallait s’y attendre. L’avenir, lui, est plus incertain parce que les enseignants reçoivent aujourd’hui des préconisations contradictoires concernant l’enseignement du comptage-numérotage alors que l’effet délétère de cet enseignement se confirme étude après étude.

Avant 1987, la culture pédagogique « classique » de l’école française

Commençons par présenter la culture pédagogique « classique » de l’école française concernant l’enseignement du calcul, celle d’avant 1987, date à laquelle les performances des écoliers de fin de CM2 ont commencé à se dégrader.

Cette culture s’est trouvée définie dès les années 1880 par Ferdinand Buisson, le Directeur des Écoles du ministre Jules Ferry. Il écrit que comprendre un nombre c’est « pouvoir le comparer avec d’autres, le suivre dans ses transformations, le saisir et le mesurer, le composer et le décomposer à volonté ».

Cet éloge de la comparaison et du calcul s’est par la suite accompagné d’un rejet de l’enseignement du comptage-numérotage. En effet les élèves en difficulté avec les nombres sont enfermés dans l’usage de cette forme de comptage : pour eux, une quantité de 8 unités c’est 12345678, 8 (le premier 8 est un numéro, le second désigne la quantité) et ce n’est rien d’autre. Ils ne savent pas que 8 c’est aussi 7+1, 5+3, 4+4, 10–2… (décompositions). Face à une collection de 7 jetons, par exemple, ils ne savent pas qu’il suffit d’en ajouter 1 pour former une collection de 8, ils sont obligés de recompter 12345678, 8.

En 1968, les époux Fareng s’expriment ainsi « [le comptage-numérotage] fait acquérir à force de répétitions la liaison entre le nom des nombres, l’écriture du chiffre, la position de ce nombre dans la suite des autres, mais il gêne la représentation du nombre, l’opération mentale, en un mot, il empêche l’enfant de penser, de calculer ». Cette citation est remarquable parce qu’elle souligne que l’enseignement du comptage-numérotage est susceptible de leurrer les enseignants : ils perçoivent une amélioration de certaines compétences, certes, mais celles-ci résultent de l’apprentissage de mécanismes et elles ne conduiront pas nécessairement au calcul.

Or, enseigner le comptage de cette manière n’est pas la seule possibilité et divers pédagogues, dont René Brandicourt (1962), préconisaient de l’enseigner en explicitant d’emblée le calcul « +1 répété » qui lui est sous-jacent : « 1 ; plus un, 2 ; plus un, 3 ; plus un, 4 ; plus un, 5… ». Alors que dans un comptage-numérotage chacun des mots prononcés a le statut de numéro (excepté celui qui est répété à la fin), dans cette autre forme de comptage chaque mot prononcé désigne une quantité, celle résultant de l’ajout d’une nouvelle unité. Dans ce cas, on pourrait parler de comptage « cardinal » mais il est préférable de parler de « comptage-dénombrement » parce que comprendre le calcul « +1 répété », c’est comprendre l’« itération de l’unité », la propriété qui fonde le nombre.

La psychologie cognitive d’aujourd’hui considère que l’un des principaux symptômes de difficultés graves en mathématiques est l’impossibilité de mémoriser un grand nombre des résultats élémentaires d’additions, jusqu’à 9+9 (De Chambrier, 2018). Or, chez les pédagogues des années 50-60-70, l’enseignement précoce du comptage-numérotage était clairement associé à ce phénomène. C’est ce que souligne Henri Canac (1955), sous-directeur de l’École Normale Supérieur de Saint-Cloud : « Dans de nombreux cours élémentaires, ou même cours moyens, on trouve souvent de grands benêts qui comptent sur leurs doigts (en cachette lorsque M. l’Inspecteur est là) ou qui, sommés de résoudre une simple opération, comme 8 + 5, se récitent intérieurement à eux-mêmes : 8, 9, 10, 11, 12, 13 en évoquant des doigts imaginaires ». Et il qualifie ces élèves de « mal débutés », regrettant qu’on ne leur ait pas appris d’emblée à trouver le résultat de ces additions à l’aide de stratégies de décomposition-recomposition (8+5=8+2+3=10+3, par exemple).

Vers 1970, la réforme dite des « mathématiques modernes », influencée par les travaux de Jean Piaget, reste en cohérence avec ce cadre général : certes, tout apprentissage des nombres est banni de l’école maternelle mais, à l’école élémentaire, l’enfant découvre les nombres sous leur forme cardinale et directement à travers leurs décompositions, sans aucun détour par le comptage-numérotage. Cette réforme a un côté radical (apprentissage du calcul très tardif, vers décembre au CP) mais, avec elle, l’école française cessera totalement d’enseigner le comptage-numérotage pendant une quinzaine d’années. Et il est important de remarquer que les écoliers de fin CM2 qui calculaient encore bien en 1987 avaient fréquentée cette école là. C’est une école sous l’influence des travaux de Jean Piaget qui avait permis à ces élèves de devenir performants en calcul.

L’effondrement des performances en calcul : 1987-1999

Le mot « effondrement » n’est pas trop fort parce que, entre ces deux dates, les performances en calcul des écoliers de fin de CM2 baissent de 66% de l’écart-type initial. Or, dans des enquêtes sociologiques analogues, une année d’apprentissage se traduit par une différence d’environ 50% de l’écart-type initial. Voici une autre référence, permettant une comparaison : le dédoublement des classes de CP s’est traduit par une différence de 18% de cet écart-type. Rappelons qu’en 1987, les élèves de CM2 avaient commencé leurs apprentissages très tardivement, vers décembre au CP. Or, ils avaient plus d’un an d’avance sur ceux de 1999 et, comme nous le verrons, plus d’avance encore sur ceux d’aujourd’hui. Le phénomène est loin d’être banal : un temps d’apprentissage scolaire beaucoup plus court (mais commençant plus tardivement) se traduit par des performances bien supérieures !

Certaines causes peuvent être écartées. La période pendant laquelle les performances se dégradent (87-99) n’est pas de celles qui voient les moyens accordés à l’école s’amenuiser : il n’y a pas de fermetures de classes, pas de diminution du nombre de jours de travail par semaine ; la formation initiale et continue est alors la plus longue que l’école française ait jamais connue, etc. On pourrait penser à évoquer le phénomène de ghettoïsation des banlieues : la condition sociale de certains enfants se dégradant pendant cette période, leurs performances en calcul auraient fait de même. Mais la même étude montre que les performances en calcul des enfants de cadres se sont dégradées dans les mêmes proportions que celles des enfants d’ouvriers ou d’employés. On pourrait penser à évoquer des phénomènes généraux tels que le temps de sommeil, le temps passé devant les écrans, etc. Mais la même étude montre encore que les performances en lecture ne se dégradent pas entre 1987 et 1997 (Rocher, 2008)et on comprendrait mal que ces facteurs généraux n’aient dégradé que les performances en calcul et pas les autres. Aucun de ces facteurs n’explique donc l’effondrement.

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