06 August 2022

QUELS LIENS ENTRE LA SÉCURITÉ DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES ET L’AMÉNAGEMENT DES ESPACES ?

Par Hébert Thibaut, Maître de conférences en sciences de l’éducation – ESPE Lille Nord de France –

Laboratoire RECIFES L’objet de cet article est de comprendre comment s’articulent l’aménagement de l’espace et la sécurité dans le champ scolaire. Partant du postulat que les lieux dans lesquels nous vivons et travaillons façonnent nos manières d’être et nos comportements (Fischer, 2011), il s’agit d’observer comment l’action sur l’espace peut permettre de réduire l’insécurité dans les écoles françaises. Cet article propose alors l’analyse de trente entretiens réalisés auprès d’acteurs concernés par l’architecture scolaire (architectes, élus, chefs d’établissement, policiers). Les résultats révèlent la place centrale de la sécurité dans les réflexions architecturales. D’une part, la sécurité fait figure de levier pour améliorer le bien-être des élèves. D’autre part, elle est appréhendée à partir de deux dimensions qui structurent particulièrement les significations de l’espace. Une première dimension repose sur l’articulation entre l’ouverture et la fermeture. Une seconde dimension renvoie à la surveillance et plus précisément aux enjeux autour des concepts de liberté et de coercition.
Introduction


Aujourd’hui, avec le recul, nous mesurons les conséquences sur les espaces publics de l’aménagement spatial pour résoudre les problèmes d’insécurité. Comme le soulignent Loudier et Vallet (2010), l’apparition d’enclaves résidentielles a accentué les inégalités spatiales et sociales, fragmentant ainsi les territoires et valorisant l’entre soi. Dans le champ scolaire, depuis les volontés politiques de sanctuariser les établissements scolaires français, il paraît tout aussi pertinent de porter notre regard sur les actions liées à la sécurisation, car tout laisse craindre la généralisation d’établissements scolaires totalement hermétiques. En effet, depuis une vingtaine d’années, s’est construite en France, une relation entre l’aménagement des espaces et la sécurité dans les établissements scolaires. Cette relation repose à la fois sur des fondements théoriques et sur l’action de nos gouvernants qui se sont efforcés d’infléchir un processus de sécurisation dans l’espace public puis plus récemment dans l’espace scolaire.

Par conséquent, l’objet de cet article est de comprendre comment s’articulent l’aménagement de l’espace et la sécurité (ou l’insécurité) dans le champ scolaire. Partant du postulat que les lieux dans lesquels nous vivons et travaillons ne sont pas de « simples décors » (Moser, 2009) et qu’ils façonnent « en quelque sorte nos manières d’être et nos comportements » (Fischer, 2011, p. 13), il s’agit d’observer comment l’action sur l’espace peut permettre de réduire l’insécurité et/ou le sentiment d’insécurité dans les écoles françaises. Plus globalement, nous questionnons l’action spatiale et son impact sur les comportements.

Nous allons alors articuler nos propos autour de deux axes. En premier lieu, nous aborderons la construction en France de cette relation entre l’aménagement des espaces et la sécurité dans les établissements scolaires. Nous reviendrons dès lors sur les fondements théoriques de cette relation, mais aussi sur l’action de nos gouvernants pour infléchir un processus de sécurisation dans l’espace public puis plus récemment dans l’espace scolaire. Nous entendons ici à travers le concept de sécurisation, « l’art de sécuriser, c’est-à-dire l’art de mobiliser un ensemble de moyens financiers et humains afin de mettre en œuvre une gamme de pratiques permettant de fiabiliser un espace sociopolitique spécifique » (Balzaqc, 2004, p. 39). En second lieu, nous verrons comment, à travers notre étude de terrain dont nous aurons pris soin de rappeler le dispositif méthodologique, différents acteurs concernés par la sécurité et l’architecture scolaire intègrent la notion d’espaces afin de générer la sécurité et in fine le mieux-vivre ensemble et le mieux-apprendre.

Émergence d’une approche spatiale de la sécurité
À ce jour, plusieurs auteurs (Vallet, 2005 ; Sallière, 2012, Bonnet, 2012, etc.) ont porté un intérêt à cette thématique ; en voici une succincte revue de littérature. Si dès 1910, les sociologues de l’École de Chicago (Park, Burgess et Mc Kenzie, 1925 ; Wirth, 1928) démontrent que l’environnement urbain a des influences notables sur les comportements des usagers et des habitants, c’est véritablement à partir de la seconde moitié du XXème siècle que les caractéristiques physiques de l’espace sont abordées en termes d’urbanisme et d’aménagement. Woods souligne l’importance de la conception physique pour répondre à des objectifs sociaux (Robinson, 1999) alors que Jacobs établit un lien entre la forme urbaine et le niveau de délinquance (Vallet, 2005). Dans la continuité des idées de Jacobs, Newman (1972) développe le concept de l’espace défendable. Il s’agit de souligner l’impact de l’architecture sur le bien-être social et le crime et par conséquent d’établir les caractéristiques physiques créant un environnement sûr (Sallière, 2012). Selon Newman, « une meilleure conception de notre environnement architectural permettrait de prévenir la criminalité » (Newman, 1973). Suite à cette série de travaux, de nouveaux modes d’action vont émerger. Le Crime Prevention Through Environmental Design (CPTED) consiste à « augmenter la difficulté d’accès à une cible potentielle » (Sallière, 2012, p. 21) alors que la théorie de la « vitre cassée » insiste sur l’importance des moyens humains (patrouilles policières à pied) afin de réduire le sentiment d’insécurité des habitants.

Au regard de ces perspectives diachroniques, nous mesurons combien ces différentes approches spatiales de la sécurité ont pu impacter les politiques de lutte contre la délinquance en Amérique du Nord puis en Europe. C’est précisément dans ce contexte que le concept de prévention situationnelle éclot en Grande-Bretagne dans les années 1980 puis en France plus récemment.

Sur le plan théorique, il s’agit de s’intéresser à la situation du passage à l’acte du déviant plutôt qu’aux conditions sociales dans lesquelles elles apparaissent (Benbouzid, 2010 ; Bonnet, 2012). Considérant que les déviances sont le fruit d’un choix rationnel réalisé en évaluant une éventuelle récompense au regard de l’effort et au risque encouru, Clarke propose à travers la prévention situationnelle de modifier les circonstances dans lesquelles ces actes pourraient être commis. Autrement dit, en rendant les cibles plus difficiles d’accès ou moins intéressantes, en augmentant les risques, cette technique de sécurisation vise une diminution des délits. Par conséquent, « la prévention situationnelle recouvre l’ensemble des politiques de sécurité qui visent à modifier les coûts et les bénéfices du passage à l’acte criminel, afin de rendre le crime plus difficile, plus risqué et moins profitable » (Bonnet, 2012, p. 26).

Il faut également retenir que certains préceptes de la théorie d’espace défendable de Newman se retrouvent dans le concept de prévention situationnelle. C’est notamment autour du lien entre la conception physique du bâtiment et la prévention de la criminalité que ce lien peut être établi.

À l’instar des théories développées par Jacobs et Newman, la prévention situationnelle n’échappe pas à une série de critiques. Si les performances du marché de la sécurité s’avèrent variables selon les espaces, il n’en demeure pas moins qu’elles ont révélé « le triomphe d’une conception défensive et technologique de la prévention » (Robert, 2010, p. 49) à partir notamment de l’usage de la vidéosurveillance au détriment de mesures sociales.

Ces critiques viennent ici faire écho à celles émises dans les années 1970 par Foucault (1975) sur « la société panoptique » (Laval, 2012). À la lecture du modèle développé par Bentham1, il dénonça cette course à la sécurisation et au contrôle des populations et fustigea les orientations architecturales au service des sociétés disciplinaires.

Aujourd’hui, « la frénésie sécuritaire » (Mucchielli, 2008) a permis d’une part de faire émerger la prévention situationnelle comme doctrine dominante de la lutte contre l’insécurité et d’autre part, « d’encapsuler dans de véritables « bulles de sécurité » des activités à risque (commerciales ou ludiques) sous réserve qu’elles s’inscrivent en un lieu précis (galeries commerciales, grands magasins, festivals de musique, manifestations sportives…) » (Robert, 2010, p. 48). Dès lors, observons comment nos gouvernants ont permis à l’approche spatiale de la sécurité de s’imposer progressivement dans un processus de sanctuarisation des établissements scolaires.

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